Silhouette au bord de la mer au coucher du soleil, symbolisant une vocation guidée par la mémoire d’un drame oublié

Peut-être ne le saurons-nous jamais.

Mais si vous lisez ces lignes et que vous sentez, vous aussi, que certaines décisions, certaines attirances, certains élans dans votre vie semblent venir de plus loin que vous…

Alors laissez cette question vous accompagner :

Et si ce n’était pas un hasard ?

« Nous ne sommes pas séparés les uns des autres. Nous vivons les uns dans les autres. » — Anne Ancelin Schützenberger

Il y a des histoires qu’on n’a jamais su comment raconter. Des silences suspendus dans le temps. Des souvenirs qui ne s’effacent pas, mais qu’on range quelque part, là où les mots n’osent plus aller.

J’avais 12 ans.

Chaque matin, deux petits garçons arrivaient à la maison : Mathieu et Guillaume. C’est ma mère qui les gardait. Ils passaient la journée chez nous pendant que leurs parents travaillaient, et le soir, ils repartaient, toujours pleins d’énergie, les joues rouges de jeux et de rires.

Un matin, pourtant, tout a basculé.

Le téléphone a sonné.

Il ne fallait pas attendre les enfants.

La maison avait explosé dans la nuit.

Et toute la famille était partie avec elle.

Disparus.

Le choc a été si brutal, si irréel, que dans ma famille, on n’en a plus jamais parlé. Rien. Le silence, comme une couverture trop lourde sur un cauchemar qu’on n’ose pas revisiter.

Les années ont passé. Les mots sont restés bloqués. Et puis, un jour, bien plus tard, ma sœur aînée et moi sommes tombées enceintes presque en même temps. Et sans se concerter, sans y penser, nous avons donné les mêmes prénoms à nos fils : Guillaume et Mathieu.

Ce n’est qu’après coup que le fil s’est déroulé. Que la mémoire a refait surface.

Et comme si ce n’était pas assez étrange, mon fils Guillaume — le mien — a choisi plus tard de devenir pompier. Lui, qui n’avait jamais entendu cette histoire. Lui, qui portait ce prénom.

Comme une réponse à un drame ancien. Comme si, à travers lui, une mémoire cherchait à réparer, à protéger, à éteindre le feu.

On croit souvent que nos choix sont nôtres.

Qu’on décide d’un métier, d’un prénom, d’un lieu de vie avec liberté et raison.

Mais parfois, quelque chose en nous répond à une mémoire que l’on n’a pas vécue. À une histoire qu’on n’a pas connue. À une douleur qui ne nous appartient pas — mais qui nous traverse.

Il y a ce que nous savons, et ce que nous portons sans le savoir.

Il y a ce que la science peut mesurer, et ce qui relève d’un autre ordre : celui de l’inconscient collectif, comme le nommait Jung.

« Ce qui ne vient pas à la conscience revient sous forme de destin. » — Carl Gustav Jung

Et si notre vie racontait parfois la tentative d’une âme — ou d’un champ — de réparer, de relier, de rétablir un équilibre interrompu ?

Le prénom que l’on donne.

Le métier que l’on choisit.

L’incendie que l’on n’a pas vu, mais qu’on cherche toute sa vie à éteindre.

Je ne lui ai pas raconté cette histoire tout de suite. Il a grandi sans en connaître les détails. Ce n’est que bien plus tard que je lui ai parlé de Mathieu, de Guillaume, et de ce matin-là.

Mais entre-temps, il avait déjà choisi sa voie.

Pompier.

Comme si quelque chose en lui avait devancé les mots. Comme si une mémoire muette avait guidé ses pas, sans qu’il le sache encore.

Lors de son assermentation, je me suis posée cette question, presque à voix basse à l’intérieur de moi :

A-t-il vraiment choisi ce métier ?
Ou est-ce que quelque chose, quelque part, plus grand, l’a choisi à travers lui ?

Peut-être que certaines vies sont des réponses.

Pas à nos propres questions.
Mais à celles laissées en suspens par d’autres.
Par des histoires qu’on n’a pas écrites. Par des absents qui continuent de marcher avec nous.

Peut-être que ce qu’on appelle « choix » est parfois une façon de faire mémoire.
De relier. D’aimer à travers le temps.

Ce n’est pas toujours visible. Ni prouvable.
Mais cela n’enlève rien à sa puissance. Ni à son sens.

Ce que cette histoire m’a appris, c’est que la vie ne suit pas toujours une logique linéaire.

Elle tisse des ponts invisibles.
Elle dépose des empreintes là où l’on croyait être vierges.
Parfois, elle s’exprime à travers nos gestes, bien avant que nous en comprenions le sens.

Mon fils ne porte pas le poids d’un passé.
Il incarne peut-être un mouvement plus vaste.
Non pas une mission, ni un devoir.
Plutôt une résonance devenue élan, un équilibre cherché à travers lui.

Et si nous étions, parfois, les messagers d’une mémoire que la conscience met du temps à rattraper ?

Pas pour en être les prisonniers.
Mais pour en devenir les témoins éveillés.

Humainement vôtre,

Ariane Laberge

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